La création des mondes
Au coeur du vide et du manque vinrent les premiers mouvements et les premiers échos, alors que la vie émergeait depuis un océan noir sans odeur ni couleur. Les mouvements prirent des formes et dansèrent dans le noir, car avec joie elles se découvrirent. Les formes devinrent tangibles et elles purent se toucher entre elles, et elles aimèrent cela. Bien vite elles pensèrent par elles-mêmes, apprenant à échanger sans mots avant d’inventer la parole. Les formes tangibles créèrent bien des langages et cela les divertit, et elles se désignèrent Avelda dans la langue qui leur seyait le mieux, car elles n’avaient point d’âge et n’en auraient jamais. Les Avelda s’essayèrent à créer d’autres formes, à faire naître des couleurs et à produire des sons, car ils avaient le désir de combler le néant dans lequel ils étaient nés par eux-mêmes. Chacun voulait un nom et être appelé par ce nom, et tous respectèrent le nom de leurs pairs. Le plus honoré des Avelda prit le nom de Tsaar, et c’est lui-même qui inventa le chant par la langue. Les autres Avelda se nommèrent Asriel, Kayrn, Sannah, Korunn, Vanuma, Tsaqur, Kreeya, Setnah, Tuur, Xa-Krul, Shuda et Muptah. Tous l’imitèrent et ensemble ils chantèrent durant bien des vies d’Hommes. Mais les Avelda se sentirent bien seuls, et ils s’unirent à nouveau pour créer des matières par le chant. Tout d’abord, ils créèrent la lumière, qu’ils polirent tel un joyau pour en faire un soleil. Tsaar leur montra l’exemple et donna vie à son propre monde, levant des montagnes et des contrées de terre et de pierre. Asriel, la plus aimée de Tsaar, créa le ciel où s’élevèrent des îles qui ne tombèrent jamais. Vanuma apporta le secret des plantes et donna naissance à de très nombreux arbres et fleurs qui brillèrent de la lumière des Avelda. Tsaar appela son royaume Wÿndelmelian, car dans ses forêts ne manquaient point de couleur. De la sorte ils modelèrent bien des mondes aux aspects bien changeants, et les Avelda aimèrent donner vie à toute chose. Tsaar montra aux siens comment engendrer des êtres qui pouvaient penser, parler et se déplacer. Il créa donc un peuple qui lui sembla sans défauts et qui se nommèrent d’eux-mêmes les Elfes. Les autres Avelda donnèrent naissance à bien des peuples sur bien des mondes, et ils furent heureux d’être entendus et désirés de leurs enfants. L’ensemble des Avelda se concerta pour former la plus belle et la plus vaste contrée, où vivraient en paix leurs nombreux enfants. Ainsi ils la nommèrent Nelmalda, car il s’agirait de la dernière et il n’y en aurait point d’autre. Les âges passèrent mais en dépit de l’enseignement des Avelda, des sentiments nouveaux corrompirent le coeur de leurs enfants. L’avidité et l’attrait du pouvoir menèrent à des guerres fratricides, et nombre d’entre eux découvrirent la douleur et le chagrin. Le cœur-même de certains Avelda fut peu à peu corrompu et eux aussi trouvèrent plaisants la domination d’autrui. La moitié des Avelda jalousèrent Tsaar et complotèrent contre lui dans la prudence la plus totale, car ils craignaient son pouvoir. Alors que Tsaar enseignait aux Elfes, il sentit son propre cœur se serrer de douleur, étouffé par des ténèbres sans limites. Il tomba malade et aucun des Elfes ne put lui venir en aide, et même les Avelda qui lui étaient loyaux ne connaissaient de remède au mal qui détruisait son être. Certains de leur victoire, Tsaqur, Kreeya, Setnah, Tuur, Xa-Krul, Shuda et Muptah livrèrent bataille aux autres Avelda. Mais Tsaar était encore puissant et vigoureux, et fort des loyaux Avelda, il terrassa les traîtres au cœurs noirs et corrompus par la faiblesse des mortels. La bataille brisa des mondes et éteignit des soleils car elle fut des plus affreuses. Tsaar les bannit de leur propre royaume céleste et les envoya dans les limbes de la création, à jamais perdus dans les ténèbres. Adoptant ces ténèbres, ils se nommèrent Princes du Chaos et bâtirent leurs propres forteresses. Mais Tsaar était encore rongé par le poison déversé dans son coeur et bientôt, il fut las de résister au mal. Son agonie fut ressentie par tous les Elfes et par tous les Avelda, et même les Princes du Chaos regrettèrent leurs actes et pleurèrent la fin d’un des leurs. Mais leur avidité nouvelle remplaça les regrets sans attendre, et le monde de Wÿndelmelian fut la première cible des légions levées par les Princes du Chaos. Dans son agonie, Tsaar permit aux Elfes de fuir vers d’autres mondes, et cela fut son dernier acte.
L’éveil des Elfes
Tsaar, plus que tout autre Avelda, désirait un monde. A l’aube des temps, il créa la musique et le chant sous l’attention des autres Avelda. Usant de sa voix, il forma des continents, leva des montagnes et y déversa des océans. Apportant la vie sur les contrées de son monde nouveau, Tsaar souhaita des enfants parfaits qui l’aimeraient et lui obéiraient. Alors il donna vie aux Elfes, qui s’éveillèrent aux quatre coins de son monde, aux bords de lacs, au pieds de montagnes, à l’orée de forêts formées par Vanuma, et y vécurent longtemps une existence oisive et prospère. Tsaar leur offrit bien des dons, comme celui de ne point craindre la mort et le dépérissement du corps. Soufflant sur les royaumes de ses enfants, le Père des Elfes leur légua même une part de ses pouvoirs divins, octroyant aux Elfes la capacité innée de se servir de la magie, que ces derniers nommèrent Souffle de Tsaar. Les Elfes se regroupèrent et vécurent bien des âges au sein de royaumes féériques, qu’ils bâtirent au sommets de montagnes d’or et d’argent, à la cime d’arbres géants et même sur des îles célestes qui trônèrent sans jamais faillir dans les cieux bercés de couleurs innombrables. Les peuples Elfes développèrent chacun leur langage, mais il en est un qui fut usé de tous, et ils l’appelèrent Haut-Elfique car c’était un langage noble aussi bien chanté que parlé. Les Elfes chérirent leur monde et apprirent à y louer toute vie, et le nommèrent Wÿndelmelian, les Forêts Multicolores dans leur nouvelle langue. Tsaar leur enseigna l’artisanat et la métallurgie, avec lesquels ils fabriquèrent les plus beaux bijoux et les plus durables des outils. Leurs connaissances dans l’architecture leur permit de bâtir de vastes villes, de paisibles havres, et de hautes tours aux quatre coins de Wÿndelmelian. Les Elfes développèrent un lien fort avec la musique et le chant à l’image de leur créateur, par lequel ils exprimèrent leurs amours et leurs chagrins. Leur chant résonna partout dans Wÿndelmelian et ils unifièrent leurs êtres avec les animaux et les arbres. Il fut de ces Elfes qui donnèrent eux-mêmes vie à leur environnement, éveillant les arbres et conversant avec eux. Nombre d’entre eux virent le jour de la main des Elfes, à l’instar des arbres-coeur, aussi haut pour toucher les nuages et assez larges pour abriter bien des Elfes qui vivaient dans leur bois. Asriel, l’Avelda la plus proche de Tsaar, créa par ses pouvoirs de gigantesques créatures cracheuses de feu à l’apparence peu avenante, mais à l’esprit avisé. Certains voyagèrent entre les mondes et parvinrent jusqu’aux royaumes des Elfes, où ils trouvèrent des êtres nobles et courageux. Les dragons échangèrent et débattirent sur bien des sujets, et finalement ils se lièrent d’amitié. Le plus grand et fort d’entre eux se faisait appeler Nyrvuntur, et nul n’ignorait la robustesse de ses écailles cramoisies ou le tranchant de ses griffes. Les Elfes vivaient en paix et grandissaient leurs demeures toujours plus hautes et brillantes, toutefois certains d’entre eux furent élus des leurs pour gouverner avec fermeté sur les territoires. Ainsi neuf Hauts-Seigneurs et Hautes-Dames se distinguèrent des autres par bien des talents, et ils devinrent les plus aimés et le plus respectés de tous les Elfes. Tout d’abord vint la Haute-Dame Elvanëya, qui fut la première à donner vie et parole aux arbres de Wÿndelmelian. Usant du Souffle de Tsaar, elle éveilla les forêts où elle régnait et les arbres se levèrent puis dansèrent de joie à ses côtés. Elvanëya dansa fort longtemps et elle aimait que la fraicheur de l’herbe caresse la peau nue de ses pieds, alors elle fit tournoyer sa longue chevelure orangée avec d’avantage de fougue et les arbres s’éprirent de la beauté de celle qu’ils nommèrent la Bien-aimée des Bois Dansants. Là où elle posa pied naquirent des fleurs aux nombreuses couleurs. En second s’éleva Leregwir, le Haut-Seigneur des Monts-Liliaux, dont la neige était aussi douce que le plus soyeux des tissus. Leregwir trouva dans la neige une harmonie personnelle, qu’il aimait regarder se déposer sur ses terrasses et jardins culminant au sommet de pics touchant presque les cieux. Sa chevelure tressée en rappelait d’ailleurs la couleur, et elle était rare parmi les Elfes, qui virent en Leregwir un seigneur tout désigné pour régner sur les monts. Ensuite vint la Haute-Dame Naërissa, qui régna sur les Forêts Irisées où elle fut chérie des siens, car elle se servit de la lumière et de la chaleur du soleil pour donner vie aux plus beaux et adorés des arbres de Wÿndelmelian. Ils furent appelés melianossë, les multicolores dans la langue des Elfes, et Naërissa prit le titre de Bénie du Soleil car elle était la plus grande adoratrice de son éclat. Naquit à sa suite le Haut-Seigneur Nuibë, qui régna sur l’Archipel des Cieux avec sa compagne et ses sujets. Nuibë gagna l’intêret puis l’amitié du dragon Nyrvuntur, et ils parcoururent les cieux et percèrent maintes fois les nuages de son royaume céleste. Il fut surnommé le Seigneur des Jardins plus hauts que les Monts, car sa demeure surpassait la plus haute terre de Wÿndelmelian. Le cinquième des grands Elfes prit la tête des cités érigées au Val d’Or. L’on disait de lui qu’il était le plus grand manieur de lame jamais vu à l’oeuvre, et il se choisit pour nom Eriandril car il était le gardien de son royaume et de tous les autres. Il ouïe les chants mirifiques d’Elvanëya par-delà les vallées et entreprit un long voyage seulet qui dura bien des jours. Eriandril parcourut les Bois Dansants et les arbres saluèrent sa noblesse, et il leur rendit leurs révérences avec joie. Lorsqu’il approcha de la clairière où dansait Elvanëya, il s’éprit d’un amour sans mesure pour la Haute-Dame des Bois Dansants. Alors il s’unit avec elle et leurs royaumes ne firent plus qu’un. Eredril fut le frère d’Eriandril ainsi que le Haut-Seigneur des Côtes Opalines. Il n’eut point la réputation de son ainé à l’épée mais on l’appréciait pour la qualité de ses vers car il était poète, bien qu’il fut en son temps l’un des maîtres archers des plus formidables. La Haute-Dame Amanëya vint à sa suite, et elle régna fort longtemps sur les hautes tours des Havres de Lumière. Ses yeux aux couleurs du raisin et sa chevelure de jais lui valurent l’estime et l’intérêt des siens, qui l’adorèrent et la chérirent pour son élégance. Elle offrit son amour à Eredril et de leur union naquirent deux enfants. On donna à l’ainée le nom d’Eliwith car une étoile dorée jaillit des Havres d’Or lors de sa venue au monde, et au cadet le nom de Ciringol signifiant prunelle pourpre dans la langue des Elfes, car il avait les yeux si particuliers de sa mère. Ils grandirent avec l’amour de leurs parents et devinrent respectivement la Haut-Dame des Collines Vermeilles et le Haut-Seigneur des Champs sous les Etoiles. Sur Wÿndelmelian, les Elfes observèrent la création des autres mondes et des étoiles par les Avelda, et prirent conscience de la grandeur de l’univers qui les entourait, qu’ils désignèrent comme Darensiah, la Mer d’Etoiles. Au sein de leurs royaumes tout puissants et merveilleux, rien ne semblait pouvoir arrêter l’ascension des Elfes.
Exil des enfants de Tsaar
Malheureusement, à une époque oubliée même des Elfes, une chose impensable se produisit. Tsaar, leur père et créateur, fut empoisonné par des Avelda corrompus, et Wÿndelmelian, affaiblie par la perte de son tout-puissant seigneur, fut laissée sans protection et devint la proie de nombreuses armées chaotiques. Les Princes du Chaos vomirent sur Wÿndelmelian leurs armées maléfiques et bien vite, la mort s’empara des royaumes des Elfes. Ces derniers offrirent une résistance héroïque, mais leur combattivité s’effrita à mesure que Wÿndelmelian tombait malade. Dans son agonie, Tsaar leur ouvrit les portes vers d’autres mondes, afin que ses enfants puissent fuir loin du danger. Le Haut-Conseil des Elfes guida les leurs en dehors de Wÿndelmelian, vers des terres qui leur étaient inconnues. L’abandon d’une Wÿndelmelian mourante et la disparition de leur père et guide laissa une plaie ouverte dans le cœur de tous les Elfes. L’aura de lumière qui entourait le corps des Elfes disparut au moment où Tsaar succomba au poison insidieux des Princes du Chaos. Les Elfes conservèrent cependant leur immortalité, qu’ils emportèrent en eux-mêmes par le Souffle de leur cœur. Alors-même que les Princes du Chaos déversaient des cataclysmes sur Wÿndelmelian, les Elfes s’enfoncèrent dans l’immensité de Darensiah à la recherche d’un nouveau monde où se réfugier. Des dissensions naquirent entre les membres du Haut-Conseil et certains choisirent de se séparer des autres. Elvanëya mena les siens jusqu’aux rivages de Lwenya, un monde dont l’océan turquoise laissait à peine poindre quelques mesas blanchâtres de manière éparse. Ils y devinrent les Lwenyans et s’offrirent à la mer. Le cœur d’Eriandril s’en trouva brisé, mais il continua sa route par devoir et égard pour les siens. Quant à Nuibë, il guida les siens jusqu’à des terres recouvertes d’herbe aussi rouge que le plus éclatant des crépuscules, que les Elfes appelèrent Sùluini. Il ordonna la construction de vastes cités de jade et son royaume fut appelé Belenuibë, la Terre de Nuibë dans la langue des Elfes. Le reste des Elfes erra fort longtemps entre les mondes, mais ils n’étaient points seuls. Car les Avelda avaient aimé Tsaar et ses enfants en étaient la plus fabuleuse création, mais aussi son héritage qui devaient perdurer en sa mémoire. Alors les Avelda guidèrent les Elfes errants jusqu’à la dernière terre de Nelmalda, et ces derniers y voyagèrent à la recherche de nouveaux territoires. Les contrées de Nelmalda étaient en ce temps déjà habitées par d’innombrables peuples aux allures étonnantes, et les Elfes durant leur voyage furent émerveillés par autant de choses nouvelles. Les membres restants du Haut-Conseil des Elfes ne parvinrent guère de nouveau à se mettre d’accord, aussi chacun décida t-il de prendre le chemin qui leur convint le mieux.
Un groupe monta vers le nord et se sépara en quatre peuplades distinctes. La première à quitter le groupe parvint jusqu’aux rivages de Lwelir, la Mer du Nord. Là, Vanuma, sous la forme de la déesse de l’hiver Narwenya, fit apparaître un val magique pour les y accueillir. Ils devinrent les Galador, les Elfes des Neiges. Les trois autres bifurquèrent en direction de l’est et franchirent les Montagnes du Couchant pour arriver jusqu’à l’Edhilfindel, le Pays des Pierres dans la langue des Elfes. Là, le reste du groupe se fractura en trois : les premiers se réfugièrent dans la Forêt de Cœur-de-Ronce, devenant les Efirûn, le Peuple des Forêts. Les deuxièmes continuèrent plus au sud de l’Edhilfindel, passant par les terres du futur Empire du Dragon Gris. Chassés par les Humains qui y avaient élu domicile, ils préférèrent ne pas combattre et construisirent nombre de grands bateaux, usant de tout leur savoir-faire. Une fois en mer, ils naviguèrent de manière hasardeuse, se servant de leur magie pour détecter d’éventuelles terres lointaines. La majeure partie des Elfes accosta sur les rivages tropicaux de l’Archipel d’Oranthil, où ils devinrent les Nebeluin, les Elfes du Soleil. Deux navires continuèrent leur route, s’enfonçant plus profondément au coeur de l’océan, jusqu’à trouver une île féérique jonchée de forêts multicolores et de profonds canyons. Ils devinrent les Palumaï, les Elfes Bruns adorateurs de la connaissance. Les derniers à rester dans l’Edhilfindel se nommèrent Findelians, “Ceux qui sont Gris”. Ils se retrouvèrent au coeur d’une violente tempête de foudre déchaînée par les Princes du Chaos. Certains affrontèrent cette tempête en usant de leur magie pour la surmonter, atteignant les côtes nord-est de l’Edhilfindel. Ils devinrent les Melynor, fondant ainsi le royaume de Tul-Melynith, et ses seigneurs triomphants de la foudre chaotique furent nommés Vor’hadur, signifiant Perce-Orage. Ceux qui avaient renoncé à franchir cette tempête prirent la direction du sud et empruntèrent une longue et étroite route de pierre au sein des Montagnes Brumeuses, avant de traverser les grandes plaines sud. Ils parvinrent jusqu’aux actuelles Montagnes Osseuses, près desquelles ils élevèrent la Tour du Vent et d’autres tours de garde destinées à prévenir tout danger par le sud. Ils se nommèrent les Nelydhrim, “Les Venteux”. Quant aux Elöwin, ces Elfes fantômes dont l’existance n’est que légende, seraient nés des Melynor tués dans la tempête, revenus à la vie pour marcher auprès des mortels. L’autre groupe, partit plus au sud, ne recroisa jamais les Nelydhrim, car ils empruntèrent les routes de sable menant aux déserts rocailleux du bas-monde. Là, privés de leurs forêts, ils en appelèrent aux puissances divines. Par bonté ou par intérêt, Vanuma, la Reine du Zénith, entendit leurs lamentations. Elle fit ériger une gigantesque forêt impérissable au sein du désert de Tsarou, un bois tortueux qui fut nommé Wÿnsanor, les Bois du Soleil, avec en son centre un arbre-cité dont les plus hautes branches caressaient les étoiles. Ils devinrent les Wÿnësun, les “Forestiers du Désert”. Un dernier groupe, qui s’était arrêté aux grandes plaines sud, rejoignit les profondeurs du monde. Empruntant des tunnels qui s’enfonçaient toujours un peu plus dans l’obscurité, leur avancée aveugle les mena jusqu’à Sombrefief, un monde ténébreux situé dans les entrailles de Nelmalda. Ils y devinrent les Xerith, les Elfes Noirs, abandonnant leur foi en Tsaar et s’en remettant aux Princes du Chaos. Lors de leur venue, les Elfes ouvrirent nombre de peuples à l’utilisation de la magie et, de nature plus secondaire, leur firent découvrir certains pans de la musique ou de l’architecture encore inconnue à cet époque. Encore aujourd’hui, les Elfes sont considérés comme un peuple mystique et secret aux grands pouvoirs et aux royaumes de puissance et de beauté inégalées.
Le Darabrandin, la rivière nacrée, trouve son origine dans le grand glacier, là où des cours d’eau et des cascades majestueuses s’entremêlent dans les grottes où les Galador ont établi leurs sanctuaires. A la base du grand glacier, le Darabrandin contourne l’Ariltalma et descend plus au sud, traverse les Lacs d’Avarast et termine sa course de l’autre côté du Val, où il se jette dans Lwelir, la Mer du Nord.
Sur Wÿndelmelian, les dragons furent les seuls êtres que les Elfes chevauchèrent jamais – et par simple amusement des deux partis – car ces derniers n’en éprouvaient guère le besoin ou l’envie. Les chevaux furent l’un des plus grands cadeaux des Hommes de l’Edhilfindel, acquis par les Melynor de l’ouest peu après leur passage des Montagnes du Couchant. Nobles compagnons des Elfes depuis les premiers âges, ils servirent de monture pour le loisir et le sport. Car les Elfes étaient assurément proches des bêtes de toute sorte, et particulièrement des chevaux à la grande intelligence. Avec le temps, les Elfes finirent même par lier leurs âmes et leurs cœurs à ceux des chevaux, et tandis qu’il leur était possible de communiquer avec eux dans leur langue, certains parvenaient à les appeler d’une simple pensée. La magie des Elfes finit par imprégner leurs chevaux, donnant naissance à de nobles lignées enviées mêmes des Hommes. À l’instar des Hommes, les Elfes montaient tout aussi bien des chevaux à la guerre, car leur robustesse et leur célérité les rendaient très efficaces et craints des combattants à pied. Parfois les chevaux étaient parés de lourdes armures ou de draperies pour les protéger et les embellir. Dans le cas des Galador, leur découverte des chevaux remonte à l’arrivée des premières caravanes humaines voyageant vers le nord, mais ce sont leurs cousins Melynor qui les familiarisèrent véritablement avec ces bêtes à la manière des Elfes. Pour autant les Galador usent peu des chevaux par temps de conflit, car la forme improbable de leurs terres natales ne sied guère à ces animaux habitués aux sols plats des plaines d’où ils proviennent. Ils restent dans le Val des bêtes de valeur, utilisés comme compagnons de voyage par certains citoyens arpentant les routes recouvertes de neige, mais peu comme bêtes de somme, la plupart des denrées d’importance arrivant depuis les eaux du nord par bateau. Précisément, les Galador gagnèrent la confiance des élans du Gaelad Netherborn, plus que capables d’évoluer au sein des étendues irrégulières et vallonnées habitées des Galador. De même, ils parvinrent à apaiser les redoutables ours de leurs froides régions, desquels ils se servirent à la guerre. Tsaar légua à ses enfants son engouement pour la musique et le chant, qui en devinrent eux-mêmes de grands virtuoses, et ils chantèrent dans bien des langues et sur bien des sujets. Le chant des Elfes fut ouï de tout temps en leur puissants royaumes et mêmes celles et ceux demeurant sur Nelmalda louèrent la venue du soleil par la musique. Les Galador ne firent guère exception puisqu’ils chantèrent aux premiers jours du Val les louanges des étoiles, où brillaient d’un feu inextinguible les âmes des plus valeureux des Elfes. Les Galador chantèrent en maintes occasions, qu’il s’agissait de mariages ou de célébrations et ne manquaient point d’unir leurs voix aux premières lueurs du matin pour y accueillir le soleil.
Encore plus à l’est des Gardiennes, à la jonction de la terre, de la pierre et de la mer, s’élevait Galadwith, la Cité d’Or et de Glace, jusqu’à sa destruction complète au Premier Age par la trahison des Xerith. Bien à l’ouest, une route quittait le val par un col étroit depuis Valanarwen et menait jusqu’à Tavilad, la plus lointaine des constructions des Galador du Val. Plus au sud-ouest se trouvait la ville de Nargod et encore plus au sud celle d’Ard Sanath, dissimulées des étrangers par des ravins de pierre blanche. Les terres intérieures du Gaed Netheriand étaient impraticables pour des yeux non avertis, et la plupart des cités nées des Galador semblaient échapper aux étrangers, perdus au milieu des ravins et des canyons bercés de chutes d’eau où les yeux des Elfes étaient braqués sur eux, guettant le moindre signe de duperie ou bien de malice. Seules de fines routes imperceptibles reliaient les villes entre elles, cachées par les arbres eux-mêmes. Le plus grand escarpement du Gaed Netheriand se situait en son coeur-même, où s’étendaient les Lacs sacrés d’Avarast, sombres et profonds, et traversés par le Darabrandin, la Rivière Nacrée, qui partait du grand glacier et longeait Valanarwen pour ressortir par les montagnes sud-est. A l’ouest des Lacs d’Avarast s’élevait la cité d’Alderad, demeure du prince Eroher et de sa soeur Adhùnel., devenue Ishanu la Sorcière de Sang Noir suite à son serment d’allégeance aux Avelda noirs. De l’autre côté des monts se trouvaient les bourgades de Padlunin et d’Ard Galad, situées à l’orée des Ergandwÿn, les Forêts des Ombres, perpétuellement agitées par les ombres maudites des pires cauchemars des Elfes. Plus au sud et flanqué contre les montagnes avait été érigé le Château du prince Ringol que les Galador nommaient Argod Inrodel, le Château des Loups, qui faisait barrage aux ombres des bois et prévenait tout débordement par l’ouest. Un chemin escarpé connu d’un petit nombre de Galador amenait jusqu’à une haute tour cachée au milieu de la roche, qui était appelée Lediloril, la Flèche d’Ivoire dans la langue des Elfes. Au sud-est, sur le flanc droit de la grande trouée du Val, les Galador avaient construit une épaisse forteresse aux imposantes tours et aux épaisses murailles. Ils la nommèrent Ard Hithlan, la Forteresse du Blizzard, et c’est ici que s’arrêtaient les voyages de la plupart des étrangers de l’Edhilfindel venus rencontrer des Galador et commercer avec eux. Les Galador avaient pris soin de tailler la roche et la glace de la montagne en amont d’Ard Hithlan à l’image d’un ours ouvrant béant sa gueule, avertissant tout nouveau venu animé d’intentions regrettables. Plus au nord et face à Alderad prospérait la pâle cité de Thiloth, demeure de la princesse Meregel établie au creux d’un ravin gorgé de fleurs nyanor. Loin au sud de la trouée, les Ergandwÿn laissaient place à des contrées recouvertes d’un fin manteau de neige qui s’arrêtaient aux Montagnes du Couchant, et là commençait l’Edhilfindel, royaume des hommes mortels, des Nains, et des Elfes Melynor. Loin au nord du Val s’étendait les Edhiluviel, les contrées des ours, où s’étaient réfugiés certains Galador au cours du Premier Age.
Nyanor
Belfiriel se tenait accoudée au parapet de pierre blanche. La lumière du soleil couchant éblouissait ses yeux d’argent et apportait au ciel de Tul-Melynith une teinte brillante et chaude, alors même que les Lunes-Joyaux se levaient à leur tour. En elle rayonnait la lumière des Elfes, sublimée par la dorure de sa robe et ses longs cheveux blancs soulevés par le vent de la fin de journée. En contrebas de la terrasse et ce jusqu’à la mer, s’étendait de la verdure parsemée de fleurs blanches à la lueur fugace, qui semblaient presque vouloir étendre leur éclat jusqu’aux étoiles naissantes. Belfiriel décela en elles une grande tristesse qui l’affecta elle-même sans qu’elle n’en comprenne la raison, et elle versa une larme à leur égard.
– J’aime beaucoup les nyanor, affirma une voix que Belfiriel avait déjà entendu ici-même.
Détournant son regard, elle vit s’approcher le jeune Ismir, qui avait visiblement troqué sa sobre armure pour une tunique élégante de cuir. Il reposait sa main gauche sur le pommeau de sa longue épée, fermement accrochée à son épaisse ceinture de tissu écarlate. Le paladin se positionna avec douceur à ses côtés pour profiter des dernières lueurs du jour en sa compagnie, et Belfiriel trouva l’initiative agréable car elle éprouvait à son égard une affection certaine. Il s’était montré cultivé et avenant avec elle de bien des manières, aussi lui concéderait-elle un moment.
– Comment avez-vous appelé ces fleurs ? demanda Belfiriel avec un intérêt grandissant.
– Nyanor, madame, du nom de celle qui leur a donné vie.
– Une herboriste de grand talent sans nul doute, car je suis subjuguée par ce qu’elles dégagent.
– Tous les Elfes le sont, car eux seuls peuvent ressentir la tristesse de ces fleurs. Toutefois, Nyanor n’était pas une herboriste. Elle était reine de cette cité blanche aux premiers âges des Elfes sur Nelmalda.
– Je n’avais encore jamais entendu son nom, paladin. Est-ce là faute à une vie passée au milieu des miens, dans une vallée coupée du monde ? Comment Nyanor a t-elle donné naissance à ces fleurs ?
– En rejoignant les étoiles, madame.
La Galador contempla le paladin quelques instants, sans comprendre ce qu’il sous-entendait.
– La Reine Nyanor fut l’épouse d’Eriandril, le Haut-Roi des Melynor qui fonda la cité sur laquelle nous marchons. Lors du premier âge des Elfes en ce monde, en plein cœur des guerres qui les opposèrent aux Xerith déchus, la Sorcière Noire Amanëya, maîtresse des terres de Sombrefief, empoisonna la Reine Nyanor d’un mal insidieux. Ce fut un mal qui ne put être guéri par la magie des Elfes et bien vite, le cœur et l’esprit de Nyanor se tordirent de douleur. Amanëya lui offrit la salvation en échange de son allégeance aux ténèbres. Mais la Reine refusa et choisit la mort, car elle croyait encore en la Lumière de Tsaar. Ainsi, elle rejoignit les étoiles innocente et pure, lavée des souillures apportées en son corps. Sur sa tombe émergèrent des pousses de fleurs d’hiver, qu’Eriandril fit envoyer dans tous les royaumes elfiques. Et les Elfes n’eurent besoin que de ses fleurs pour comprendre ce qui s’était passé, car ils éprouvèrent à travers elles une grande amertume. Alors ils plantèrent ces fleurs partout dans leurs royaumes pour honorer sa mémoire et perdurer son souvenir, et ils leur donnèrent le nom de la dame qui par la terre les avait fait pousser.
– J’ai déjà vu nombre de ces fleurs le long des terres pentues entourant la pâle cité de Thiloth, qui battaient au vent entre les rivières animées.
– Le roi de Thiloth était le frère de Nyanor avant la séparation des Galador et des Melynor, aussi fut il l’un des Elfes les plus endeuillés à la mort de la princesse. Son royaume est baigné du souvenir de celle qui longtemps inspira bien des Elfes.
Ismir marqua une pause et se tourna en direction de l’océan.
– J’aimerais beaucoup visiter votre pays et ses merveilles un jour prochain.
– Et je serais plus que ravie d’être votre guide comme vous êtes le mien céans, répondit Belfiriel un léger sourire aux lèvres. Mais pour l’heure, je vous invite à dîner !